Un automne marqué par le travail collaboratif - Rétrospective 2015 (2/4)

Stéphanie Manfroid, Responsable des archives, revient sur quelques colloques et workshops auxquels le Mundaneum a pris part...

Quels ont été les événements marquants de l’automne 2015 ?

Ils ont commencé par l’inauguration de la salle de lecture du nouveau centre d’archives. Elle commémore André Canonne (1937-1990), directeur du Centre de Lecture publique de la Communauté française (CLPCF), qui a réédité le « Traité de documentation » en 1989 et a permis par ses efforts que les archives du Mundaneum soient préservées à la fin des années 1980. Cette inauguration a été l’occasion de faire découvrir nos nouvelles infrastructures à nos collègues d’autres centres d’archives ou de bibliothèques, et à nos partenaires de longue date comme Jean-François Fuëg du Service de Lecture Publique (et ancien directeur du Mundaneum).

En octobre, un symposium était organisé par le Café Europa et coordonné par un artiste, Dusan Barok, que j’avais guidé à travers les réflexions de Paul Otlet lors d’une résidence au Mundaneum en septembre. Sa communication, « Ideographies of Universal Knowledge », a réuni des chercheurs et des artistes sur la question de la représentation de la connaissance. Barok est aussi l’auteur du site web « Monoskop ». Parmi les invités, venant surtout des pays de l’Est, on trouvait l’association belge Constant, qui a développé un site web qui appelé Mondothèque !

Femke Snelting de l’asbl Constant a également organisé les 27 et 28 octobre 2015 un workshop à Arts² dont l’objet était le « Traité de Documentation » d’Otlet. Elle a présenté une critique politique de ce qu’est devenue aujourd’hui l’institution Mundaneum à travers ses liens avec Google, par rapport au projet originel imaginé par Otlet. Autre cheville ouvrière de ce workshop, Alexia De Visscher travaille sur les étapes d’écriture du « Traité » et ses aspects formels et offre un regard inédit lié à l’édition. Loraine Furter a, quant à elle, évoqué la question des livres numériques à travers une vision moderne, novatrice, liée à son expérience dans le domaine du design. Enfin, il y avait une présentation d’Antoine Motte sur Wikisource, bibliothèque numérique du domaine public. Ces deux associations, Constant et Wikisource, visaient par ce workshop à souligner l’importance de constituer un ensemble de données accessibles au public de manière libre et sans contrainte, même si chaque système, y compris la sphère Wiki, a ses contraintes. L'asbl Constant a aussi organisé, en janvier 2016, la Journée du Domaine Publique, marquée par des débats et conférences - en français et néerlandais - à la Bibliothèque Royale à Bruxelles.

Vous avez participé à un colloque sur Paul Otlet en Italie. Pourquoi cet intérêt de l’Italie pour Otlet ?

D’abord parce que Paul Otlet a travaillé avec le sculpteur américain d’origine norvégienne Hendrik Andersen, qui a légué son œuvre et sa demeure, la Villa Hélène, à la ville de Rome. Il y a aussi, bien sûr, des écoles qui forment les bibliothécaires-documentalistes en Italie : Otlet est toujours l’un des personnages d’envergure internationale de la théorie de la documentation. L’autre point d’accroche est la création de l’Institut International d’Agriculture (IIA, à l’origine de l’actuelle FAO) à Rome à laquelle Otlet avait collaboré, et rédigé un rapport pour la branche romaine.

Ce colloque italien organisé le 21 octobre 2015 après une première édition en 2014 s’intitulait « L’utopie de Paul Otlet et l’Italie » (actes en cours de publication). Trois universités liées à cette tradition de formation de bibliothécaires-documentalistes étaient organisatrices de cette journée : l’Université de Rome La Sapienza, l’Université de Pérouse et l’Université de Calabre. Les intervenantes hors Italie étaient la représentante de Google en Belgique, Caroline Coesmans, et moi-même. Roberto Guarasci (Université de Calabre), à l’origine du colloque, travaille notamment avec Maria Tavernetti qui proposait une exposition sur l’IIA à partir des pièces d’archives conservées à Rome. Un moment fort de la journée fut la communication de Walter Tega (Université de Bologne) sur le langage figuratif et les liens entre Otlet, Le Corbusier et Neurath, les situant dans un contexte plus européen : la tradition d’encyclopédie européenne, et la volonté de faire de l’universalisme une forme de globalisation en opposition avec ce qui était en cours à l’époque, c’est-à-dire un internationalisme socialiste. Tega, qui connaît bien le projet de Cité Mondiale d’Otlet, a fait référence au langage figuratif chez Leibnitz, aux différentes formes de représentation mais aussi de censure de la liberté de pensée des associations à l’époque.

Plusieurs des autres intervenants ont un jour ou l’autre utilisé les sources dont nous disposons au Mundaneum : Paola Castelluci, qui s’intéresse aux liens entre Otlet et l’Italie à travers la Cité Mondiale ainsi qu’aux sources liées à l’anarchisme ; Antonietta Folino, pour qui nous avons procédé à la numérisation des sources liant Otlet et Le Corbusier. Deux autres communications de chercheurs italiens présentaient des points de vue novateurs : l’étude sociopolitique et la traduction par Elena Ranfa (Université de Pérouse) de l’ouvrage « La fin de la guerre. Traité de paix générale », et tout le travail lié à une méthodologie de la traduction du « Traité de documentation » par Suzy Caruso (Université de Calabre). Ces propositions intéressantes font écho au travail entamé par l’asbl Constant sur la retranscription du livre. Il s’agit pour Caruso de dépasser la simple traduction et d’utiliser chaque terme dans son contexte particulier et de comparer cette terminologie à l’époque de sa conception avec ce que ça veut dire aujourd’hui. C’est un travail plus approfondi que ce que proposent Constant et Wikisource.
Il y aurait un dialogue intéressant qu’ils pourraient entamer, dont le Mundaneum pourrait être le trait d’union.